Paula Modersohn-Becker

Paula Modersohn-Becker : une Artiste Méconnue

Temps de lecture : 7 minutes

Paula-Modersohn-Becker, une grande femme peintre allemande peu connue en France

Paula Modersohn-Becker dérange. Sa peinture audacieuse, sa vision libérée de la féminité, son indépendance : chez elle, tout détonne. C’est une âme solitaire et incomprise durant sa courte vie, malgré une famille aimante et des amitiés constantes. Artiste puissante, elle est considérée comme la pionnière de l’expressionnisme allemand. Principalement connue pour ses autoportraits et ses portraits qui ont défrayé la chronique, elle réalise aussi des paysages et des natures mortes. Féministe visionnaire, elle bouscule l’Histoire de l’Art avec un style et une œuvre sans précédent. De Worpswede à Paris, son destin tragique est marqué par sa passion pour l’art, dont elle ne sera jamais rassasiée. Qui est Paula Modersohn-Becker, cette femme qui aimait peindre les femmes ?

 

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Paula en 1905

L’histoire d’une femme peintre avant-gardiste

Elle naît le 8 février 1876 à Dresde dans une famille nombreuse où elle bénéficie d’une enfance privilégiée. En plus de l’éducation classique qu’elle reçoit, elle est initiée à plusieurs formes d’arts, dont le piano. Âgée de seize ans, Paula part plusieurs mois chez sa tante à Londres pour apprendre l’anglais. Elle y prend ses premiers cours de peinture et, sur l’insistance de son père Carl Woldemar Becker, obtient également son diplôme d’institutrice. L’année d’après, elle se rend à Berlin pour étudier le dessin et la peinture, grâce au legs de son oncle Arthur. Elle partage ensuite sa vie entre l’Allemagne et la France.

En 1907 s’écoulent des mois mélancoliques à Worpswede où elle est coincée par sa grossesse, ne rêvant que de repartir à Paris. Le 20 novembre, une embolie pulmonaire foudroyante l’emporte, à peine 18 jours après la naissance de sa fille, Mathilde. Nous ne pouvons que murmurer « schade » du bout des lèvres comme elle le fait au moment de mourir : dommage. Son journal, retrouvé dans ses affaires après son décès, est publié et rencontre immédiatement le succès. On y découvre une jeune femme, un électron libre, jolie et coquette, qui aimait se parer et plaire. Tout de suite apprécié et plébiscité dans son pays d’origine, son talent peine à se faire reconnaître dans celui de son cœur, où elle a pourtant créé la majorité de son œuvre.

 

Pour une biographie exhaustive, rendez-vous sur le site de la fondation Paula Modersohn-Becker, créée par sa fille en 1978.

 

La vie de l’artiste scindée entre l’Allemagne et la France

 

Entre les deux pays, Paula ne peut choisir. Sa trop brève vie est ponctuée d’aller-retours entre sa terre natale et sa patrie de cœur.

 

Worpswede et Otto Modersohn

Worpswede est un village habité par une communauté de bohèmes vivant au plus proche de la nature. Paula y séjourne pour la première fois durant l’été 1897, puis s’y installe en septembre 1898. Mais à Worpswede, dans ce paysage fait de landes, de canaux et de tourbières, la jeune femme ne se lie pas facilement avec les autres artistes. Déjà, on la critique pour ses portraits trop crus. Elle établit son atelier à l’écart, à Brünjes, en 1902. C’est ici qu’elle rencontre Clara Westhoff, son amie pour la vie, sculptrice avec qui elle suit les cours de Fritz Mackensen et fait les quatre cents coups. Rainer Maria Rilke, en visite au village en 1900, jette le trouble entre les deux femmes. Paula lui résiste. Est-elle la seule dans l’histoire du poète à ne pas lui avoir succombé ? En découle une amitié houleuse. Le triangle amoureux ne dure pas. Rilke épouse Clara, mais le couple ne survivra pas deux ans, malgré la naissance de leur fille Ruth.

Paula est fiancée à un autre homme, le peintre Otto Modersohn. Elle a vu ses tableaux pour la première fois à Brême en 1885, et l’admire avant de le rencontrer. Bien qu’il soit marié, elle le convainc par lettre de venir le rejoindre à Paris pour l’Exposition universelle. En son absence, sa femme, tuberculeuse, décède. Il rentre à Worpswede pour s’occuper de sa petite fille. Paula décide de retourner elle aussi en Allemagne où ils se fiancent quelques mois plus tard. Son père, trop soucieux des convenances, l’oblige à prendre des cours de cuisine avant son mariage. Peine perdue, Paula ne sera jamais une épouse soumise. Aux premiers temps de leur union, les deux artistes s’inspirent l’un l’autre, s’observent, se dessinent. Lui est casanier, privilégie le calme pour exercer son génie. Elle bouillonne d’envies et ne tient pas en place. Paula est déçue par la vie conjugale, frustrée par ses contraintes. Bien qu’il ne comprenne plus son art, Otto continue de l’aider financièrement, même durant les périodes de rupture.

 

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Portrait de Clara Rilke-Westhoff par Paula

Quatre séjours à Paris dans l’effervescence culturelle

Le Nouvel An du nouveau siècle, quel plus beau moment pour débarquer dans la capitale de la culture ? C’est donc le 31 décembre 1899 que Paula, accompagnée de Clara qui prend des cours avec Rodin, arrive à Paris pour six mois. Esthète affamée, elle n’a de cesse de courir les musées, galeries, expositions. Elle se rend chez les marchands d’arts, veut tout voir. Cézanne, encore inconnu à cette époque, retient particulièrement son attention. Paula revient à Paris pour cinq semaines, seule cette fois, en février 1903. Elle se forme à l’académie Colarassi, l’unique établissement où les étudiantes sont autorisées à esquisser des modèles nus. Elle visite régulièrement le Louvre, se nourrit de tableaux de maîtres. Au début de l’année 1905, elle retourne pour la troisième fois dans la capitale française retrouver sa sœur Herma, et s’inscrit à l’institut Julian. Après avoir de nouveau longtemps séjourné en Allemagne, la peintre quitte son mari en février 1906, définitivement, pense-t-elle. Elle suit des cours d’anatomie aux Beaux-Arts, la seule institution accessible aux femmes, avec des élèves venues du monde entier. Des cadavres sont fournis par l’École de Médecine. C’est la période la plus prolifique de sa vie : elle engendre plus de quatre-vingts tableaux en quelques mois. Otto lui envoie l’argent et les affaires qu’elle lui réclame. Il lui rend visite au printemps, les époux se réconcilient, et il la rejoint durablement. Paula tombe enceinte, cause du retour à Worpswede à la fin mars 1907. Elle ne reverra plus jamais Paris.

 

L’œuvre controversée de Paula Modersohn-Becker

Un style visionnaire qui dérange

L’artiste n’a jamais cédé aux diktats de son époque. Si les thèmes de ses tableaux, portraits, maternités, scènes pastorales, paysages ou natures mortes, sont conventionnels ; leur représentation sort des carcans. Paula Modersohn-Becker peint sans concession la chair, les visages en gros plan, la vieillesse, les figures marquées par la rudesse de l’existence. Elle paye des modèles à bas prix pour ses nus d’enfants et de femmes. C’est la réalité paysanne sans fards, hors des normes conservatrices qui sacralisent le corps des femmes. Ce dernier se doit d’être beau, sain, pur. Paula, elle, ne recule pas devant la laideur, les peaux ternes, les rougeurs. Ses tableaux sont intimes, ses traits simples et naïfs. Ses portraits et autoportraits offrent une vision inédite du féminin. Aucune mise en scène, aucun effet ; c’est la première fois que des femmes sont dépeintes loin du regard des hommes et de leur désir, ce qui n’empêche pas une certaine sensualité. Elle est aussi la première de l’Histoire de l’art à se représenter elle-même nue.

Ses premières toiles, exposées à Brême en 1899, sont critiquées. Son style est trop éloigné de celui de l’académie allemande. De son vivant, elle en vend seulement trois, dont Nourrisson avec la main de sa mère à son ami Rilke. Vingt ans après sa mort, on inaugure en son honneur à Brême le premier musée entièrement consacré à une femme. Il est pillé en 1937 par les nazis qui jugent ses tableaux dégénérés, à l’opposé de l’idéal aryen. Aujourd’hui, la peintre est très célèbre outre-Rhin. On trouve des reproductions de ses œuvres sur cartes postales, magnets, posters, dans les manuels scolaires. En France, il faut attendre l’exposition L’intensité d’un regard au musée d’Arts modernes de Paris en 2016 pour qu’elle soit enfin (re)connue.

 

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Autoportrait aux iris

Des tableaux marquants

Paula Modersohn-Becker n’a pas connu le succès de son vivant. Cette absence de notoriété lui a procuré une totale liberté d’expression artistique. Dans son atelier, elle expérimente ce qu’elle veut, car elle n’a de compte à rendre à personne. Son œuvre, d’environ 750 toiles et un millier de dessins comprend, entre autres, un portrait de Lisbeth, la fille d’Otto, dans le verger des Brünjes. Celui de Rainer Maria Rilke, peint en 1906 à Paris, est peu flatteur ; preuve du caractère espiègle de Paula.

De ses nombreux autoportraits, les plus connus sont l’Autoportrait à la branche de Camélia, et l’Autoportrait aux iris. À trente ans, brisant tous les tabous, elle se montre nue, de trois quarts dans l’Autoportrait au sixième anniversaire de mariage. Elle s’y représente enceinte de quatre ou cinq mois, écrivant dans le même temps à son mari qu’elle ne veut pas d’enfant. Un an plus tard, elle l’est véritablement, et se peint de nouveau ainsi. La maternité est un sujet récurrent chez elle, notamment avec La mère allongée et l’enfant, vision réaliste d’une mère allaitante. Les paysages ne sont pas en reste, et on retrouve les landes brumeuses de Worpswede sur nombre de ses tableaux. Des natures mortes, vestiges de ses repas hivernaux dans son atelier en Allemagne ; fruits, fromages, pain, courges flamboyantes complètent son œuvre.

 

 

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La mère allongée et l’enfant

 

On retiendra de Paula Modersohn-Becker la sincérité qui affleure de ses toiles. Loin de la candeur et de la mièvrerie auxquelles on a voulu la soumettre, elle a su s’émanciper aussi bien en tant que femme qu’en tant qu’artiste.

 

Vous vous intéressez aux femmes peintres ? (Re) découvrez d’autres grandes artistes, Josephine Hopper, Séraphine de Senlis et Margaret Keane.

 

Article invité, écrit par Élisabeth Weber

 

Sources :

Être ici est une splendeur Marie Darrieussecq
Site de la fondation Paula Modersohn-Becker
https://www.radiofrance.fr/franceculture/

 

 

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