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Margaret Keane | Récit d’une artiste peintre spoliée

Temps de lecture : 6 minutes

Parcours de Margaret Keane : de l’anonymat à la reconnaissance

Qui est Margaret Keane ? Artiste peintre américaine contemporaine, elle est la créatrice des « Keane Eyes », des toiles qui représentent des femmes, enfants et animaux aux yeux immenses et expressifs. Ses débuts en tant qu’artiste sont difficiles, jusqu’à sa rencontre avec son futur mari Walter Keane. Grâce à lui, ses peintures connaissent un succès phénoménal dans les années 60. Mais, durant plus de dix ans, Walter usurpe les œuvres de sa femme, victime plus ou moins consentante. Un jour, enfin, Margaret dévoile la vérité. Découvrons ensemble l’histoire de Margaret Keane, relatant l’une des plus incroyables impostures dans le monde de la peinture.

 

Difficultés pour une femme de percer dans le monde de l’art

Margaret Keane naît sous le nom de Peggy Doris Hawkins le 15 septembre 1927, à Nashville dans le Tennessee : elle changera son prénom pour Margaret par la suite. Dès son plus jeune âge, elle se met à dessiner et s’intéresse à la peinture.

À 10 ans, elle fréquente une école d’art à Nashville et crée sa première peinture à l’huile : deux petites filles, l’une riant et l’autre pleurant. À 18 ans, Margaret intègre la Traphagen School of Design de New York. Elle adopte alors un style bien particulier : elle commence à produire des portraits d’enfants avec des yeux surdimensionnés, arborant un air triste.

Ayant subi à l’âge de 2 ans une opération qui a endommagé son tympan et l’empêche de bien entendre, elle regarde depuis les gens dans les yeux pour mieux les comprendre. Pour elle, les yeux dévoilent le plus la personne intérieure.

En 1948, Margaret épouse Frank Ulbrich, un physicien avec qui elle aura une fille, Jane. Mais, elle étouffe à ses côtés et le quitte bientôt pour s’installer avec Jane à San Francisco. Margaret souhaite vivre de sa passion : la peinture. Mais, à l’époque, la femme est plutôt cantonnée au foyer. Elle peine à se faire une place dans un monde de l’art réservé aux hommes. Pour subvenir aux besoins de sa fille, elle est obligée de reproduire les portraits de passants dans la rue.

 

La rencontre avec Walter Keane

En 1953, lors d’un marché d’art en plein air à San Francisco, Margaret fait la connaissance de Walter Keane. La quarantaine séduisante, originaire du Nebraska et père d’une fille née d’un premier mariage, celui-ci travaille dans l’immobilier. Il se dit peintre à ses heures et montre à Margaret ses nombreuses toiles reproduisant des scènes parisiennes, conçues après un séjour à Paris. Celles-ci font en réalité partie, comme elle l’apprendra plus tard, d’un stock acheté en France après-guerre.

Charmée par Walter et pour ne pas perdre la garde de sa fille, Margaret divorce de son premier mari et épouse Walter, à Honolulu, Hawaï, en 1955. Une forme de collaboration s’instaure alors entre eux : elle assure la production de tableaux tandis qu’il se charge de leur vente.

Cependant, dans les années 1950, l’expressionnisme abstrait, principalement incarné par Pollock, est en vogue et les galeries d’art refusent les figures aux grands yeux de Margaret. Qu’à cela ne tienne, Walter sous-loue un couloir menant aux toilettes d’un célèbre nightclub de San Francisco, le « Hungry i » pour y exposer leurs créations respectives. Et cela fonctionne : le beau parleur commence à vendre les peintures de Margaret. Mais, il s’en attribue la paternité puisqu’elle signe juste ses toiles « Keane ».

 

Margaret Keane : ses œuvres usurpées par son mari

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Un jour, Margaret découvre la supercherie et demande des explications à son mari. Walter rétorque alors que les œuvres réalisées par un homme se vendent bien mieux. En outre, c’est grâce à lui s’ils gagnent de l’argent. Enfin, dire la vérité maintenant pourrait leur valoir des poursuites judiciaires. Margaret, par peur et sous l’influence de Walter, se tait et devient une victime consentante.

Dans les années 60, les Big Eyes, (« grands yeux ») rencontrent un énorme succès commercial. Walter les expose dans des galeries à San Francisco, New York et Chicago.

En vrai businessman, il les décline aussi en posters, cartes postales, assiettes en porcelaine et magnets. Pour prouver être l’auteur des Big Eyes, il déclare s’être inspiré d’enfants affamés qu’il aurait vus à Berlin après la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement, la réalité est toute autre pour Margaret.

Pendant que son mari s’attribue le mérite de ses toiles et s’affiche avec des célébrités, elle est obligée de travailler jusqu’à seize heures par jour, enfermée dans son atelier aux rideaux tirés. Son bourreau, qui s’adonne à la boisson, l’empêche de voir sa fille, d’avoir des amis, la trompe impunément et la menace même de mort.

Paradoxalement aussi, bien que les peintures de Margaret aient trouvé leur public, les critiques d’art les qualifient de naïves et kitsch. Ainsi, en 1964, l’œuvre Tomorrow Forever, représentant une assemblée d’enfants aux grands yeux de toutes les origines, sera retirée de l’Exposition universelle de New York après avoir été dénigrée.

Exploitée par son mari et voyant son travail déprécié par le monde de l’art, Margaret souffre énormément de cette situation.

 

 

La vérité enfin dévoilée

big-eyes-piece-a-conviction-224Un jour de 1964, Margaret, à bout, s’enfuit avec sa fille à Hawaï. Walter accepte de divorcer en 1965 si sa femme continue à l’approvisionner en tableaux et se tait. En 1970, Margaret se remarie avec l’écrivain Dan McGuire à Hawaï et, lors d’une émission de radio locale, déclare enfin être la véritable auteure des Big Eyes.

Elle poursuit Walter en justice. En 1986, au bout de plusieurs semaines de procès, où les deux protagonistes campent sur leur position, le juge leur demande de réaliser un portrait aux grands yeux en une heure.

Walter simule un problème musculaire à l’épaule qui l’empêche de peindre. Margaret, quant à elle, produit un tableau en 53 minutes intitulé « pièce à conviction 224 ». Son ex-mari est condamné à lui verser 4 millions de dollars en réparation, verdict confirmé en appel en 1990.

Margaret ne touchera rien, Walter s’étant déclaré en faillite, mais ce qui compte le plus pour elle, c’est sa reconnaissance en tant qu’artiste. Elle peut maintenant signer ses œuvres « MDH Keane ».

Depuis 1991, Margaret vit à Napa (Californie) et continue toujours de peindre. On retrouve principalement ses tableaux dans la Keane Eyes Gallery de San Francisco. Quant à Walter, il prétendra jusqu’à sa mort en 2000 être l’auteur des Big Eyes, sans jamais en apporter la preuve. En 2014, l’œuvre de Margaret Keane a connu un regain d’intérêt après la sortie du film de Tim Burton Big Eyes sur son incroyable histoire.

 

Margaret Keane : une empreinte artistique singulière

peinture-de-margaret-keaneLes peintures de Margaret modélisent des personnages (femmes, enfants et animaux) qui possèdent des yeux immenses par rapport au reste du corps. Pour elle, les yeux sont les fenêtres de l’âme, les yeux qu’elle dessine sont l’expression de ses sentiments les plus profonds.

Le travail d’Amedeo Modigliani a fortement influencé la manière dont Margaret peint les femmes. Elle s’est aussi inspirée d’autres artistes comme Picasso, Van Gogh ou Gustav Klimt pour le choix des couleurs, des dimensions et des compositions dans ses tableaux.

Malgré son indéniable talent et ses apports dans la culture pop américaine, son œuvre est sous-estimée par les critiques d’art. Peu importe pour Margaret, elle compte de nombreux fans et collectionneurs de ses toiles dans le monde. Elle a même peint le portrait de stars hollywoodiennes (Joan Crawford, Natalie Wood, Jerry Lewis, Kim Novak entre autres). On retrouve aussi le style si particulier de Margaret sur des poupées (les Little Miss No Name et les Blythe) ou dans le dessin animé Powerpuff Girls.

Son mouvement aux grands yeux a enfin inspiré de nombreux artistes contemporains comme Ozz Franca, Igor Pantuhoff, Yoshitomo Nara ou l’américain Mark Ryden, créateur du « surréalisme pop ».

Les peintures de Margaret Keane auraient-elles connu le même succès sans leur appropriation par son époux Walter ? Rien n’est moins sûr. Beaucoup de femmes, pour voir leurs créations exposées, ont dû se cacher derrière un homme : père, frère, mari ou maître d’atelier. On comprend mieux que Margaret ait mis si longtemps à se libérer de l’emprise de Walter et à (re) prendre confiance en elle pour enfin révéler être la véritable auteure des Keane Eyes.

Un autre point pose question : pourquoi les toiles de Margaret n’ont-elles jamais trouvé grâce aux yeux des critiques d’art ? Doit-on faire partie d’une élite pour savoir quelles œuvres sont dignes d’intérêt ou pas ? Pourtant, comme le souligne à l’époque Andy Warhol, un des pères du pop art : « Si c’était si mauvais, tant de gens ne l’aimeraient pas ».

Vous souhaitez connaître d’autres destins de femmes artistes méconnues ? Venez découvrir la vie Séraphine de Senlis ou de Josephine Hopper 

Sources

https://www.keane-eyes.com/about-margaret/

https://www.beauxarts.com/grand-format/big-eyes-larnaque-etait-presque-parfaite/

https://www.biography.com/artist/margaret-keane

 

Auteure : Maïté Sorhouet

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