Quand la photo remplace les mots : l’image au cœur du travail thérapeutique
De même que la peinture, le modelage, l’écriture, ou la danse, la photographie est, depuis quelques années, de plus en plus utilisée dans un cadre thérapeutique. Parce qu’il n’est pas toujours facile de poser des mots sur leurs tourments, les thérapeutes offrent à leurs patients la possibilité de s’exprimer à travers leur créativité. Cachées derrière leur appareil photo, les personnes souffrant de troubles psychologiques trouvent, grâce aux images qu’elles produisent, un moyen de se raconter autrement. Coup d’œil sur la photo-thérapie, une pratique qui invite à créer pour mieux se retrouver.
La photo-thérapie : kézako ?
Photothérapie ou photo-thérapie ? Des mots qui se ressemblent, l’un porte un tiret, l’autre non et nous voilà perdus ! De quoi parle-t-on réellement et quelle orthographe devons-nous adopter ? Avant de plonger au cœur de notre sujet, faisons le point sur les différentes acceptions qui se cachent derrière ce terme.
Soigner des problèmes de peau
Prenez garde aux confusions de sens ! La photothérapie (sans trait d’union) est un acte médical. Rien à voir avec l’art ni avec une quelconque thérapie. Il s’agit ici d’une technique particulière utilisant la lumière ou les rayonnements (UVA et UVB) du spectre solaire pour traiter des affections dermatologiques telles que l’eczéma ou le psoriasis.
Se réconcilier avec son image
Suite à des traumatismes ou des bouleversements importants, le corps peut afficher des stigmates qu’il est parfois difficile d’accepter. Les complexes apparaissent et l’on n’arrive plus à se regarder dans le miroir. On se dégoûte, on se déteste et ce désamour devient une vraie souffrance.
À l’heure où le regard de l’autre pèse plus que jamais dans la balance, la représentation du corps, et notamment du corps féminin, est souvent mise à rude épreuve.
Pour contrer cette tendance à la dévalorisation, certains photographes proposent des séances photos visant à consolider l’estime de soi. Ils parlent alors de photo-thérapie. De la confrontation avec sa propre image peut naître une prise de conscience et une réappropriation de son histoire. Se voir différemment, se voir à travers les yeux de quelqu’un d’autre pour mieux s’accepter et recommencer à s’aimer.
Faire de la photographie un objet de médiation thérapeutique
« L’art-thérapie est un accompagnement de personnes en difficulté à travers leurs productions artistiques. Ce travail subtil qui prend nos vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler les significations inconscientes des productions qu’à permettre au sujet de se re-créer lui-même, se créer de nouveau. »
C’est ainsi que Jean-Pierre Klein, psychiatre et pionnier de l’art-thérapie en France, définit cette approche thérapeutique centrée sur la création artistique.
À l’instar de la peinture, du modelage, du collage ou encore de la danse, la photographie, dans le cadre d’une pratique curative, constitue un des axes du travail de guérison. Le patient, laissé libre de créer, fait l’expérience d’une nouvelle manière de s’exprimer. La fabrication de l’image puis l’image elle-même offrent à l’inconscient d’autres voies de circulation. Elles chatouillent le non dicible et permettent d’accéder à des sentiments et des émotions refoulés. Elles sont « une stratégie de détour, une ruse qui permet de contourner les résistances au changement » (Jean-Pierre Klein, L’Art-thérapie).
Et c’est cette dernière signification que nous allons détailler à présent.
La photo-thérapie : créer pour mieux se retrouver
Quand création rime avec guérison
Plus qu’un processus de guérison, l’utilisation de la photographie au sein d’une thérapie, engage une véritable transformation. Il s’agit de faire de la maladie un enrichissement personnel. Les souffrances, les non-dits ou les traumatismes deviennent non plus des épreuves, mais les étapes d’un cheminement.
La photo permet de parler de soi sans avoir à dire « je ». En venant exprimer, déposer quelque chose de lui dans l’image qu’il produit, le patient se détache de sa souffrance pour exister en tant que sujet. Le but n’est pas de se défaire de ce qui le gêne, mais de l’apprivoiser, de l’utiliser pour mieux se raconter et se réinventer.
Armé de son boîtier, l’apprenti photographe saisit des morceaux d’inconscient pour dessiner peu à peu ce que le psychiatre appelle « un parcours symbolique vers un être davantage qui comprend forcément un aller mieux » (L’art-thérapie dans Cahiers de Gestalt-thérapie).
De la prise de vue au développement : allégorie d’un cheminement intérieur
Pratiquer la photographie, d’autant plus si elle est argentique, c’est la possibilité d’établir un parallèle entre le processus de révélation et l’idée d’un cheminement intérieur.
L’obtention d’une image, de par les contraintes techniques qui l’accompagnent, s’inscrit obligatoirement dans le différé. Un « à venir » propre à surprendre celui qui, pourtant, était à l’origine de la capture. Malgré l’intention et le désir d’emprise présents au moment du déclenchement, il y a toujours des éléments qui nous échappent. Ce que l’on a cru voir se confronte à ce que l’on n’avait pas vu. L’image qui se dessine alors au moment du tirage nous saisit, nous étonne ou nous bouleverse. Entre la prise de vue et le résultat obtenu sur papier, la démarche photographique ne peut se soustraire à un sentiment de perte. Elle amène le photographe à faire le deuil de ce qui est perdu et à s’interroger sur ce qui reste. L’impossibilité de rendre compte du réel et la question de la subjectivité du regard sont autant d’éléments qui viennent nourrir le travail thérapeutique.
Le rôle du thérapeute
« L’art-thérapeute est celui qui connait l’art de l’intérieur. »
Jean-Pierre Klein explique qu’il est nécessaire pour le thérapeute d’avoir lui-même une pratique artistique active afin d’aider ses patients à aller au bout de leur élan créateur. Il encourage d’ailleurs les art-thérapeutes ainsi que les médiateurs artistiques à se former à plusieurs arts de façon à pouvoir les croiser et nourrir ainsi leur recherche.
Dans un premier temps, il s’agit pour l’accompagnant, de se faire discret et de permettre une mise en situation propice à la création. Au début, seul un accompagnement centré sur la forme suffit. Au risque de bloquer le processus créatif, l’attention portée au contenu et l’interprétation des œuvres n’ont pas leur place. Le but est que, soutenu dans son évolution, le patient devienne acteur de sa propre transformation. Il passe ainsi d’une position passive à une intervention active. Par la suite, la fonction du thérapeute sera, avec beaucoup de précautions, d’encourager les productions vers toujours plus d’intimité et de complexité. Et si, en cours de séance, une prise de conscience émerge, il lui faudra alors, au même titre qu’un autre thérapeute, écouter et favoriser l’éclosion de ces fulgurances.
💡Et si vous deveniez art-thérapeute ? On vous explique tout juste là : Comment devenir art-thérapeute ?
Un autre journal : un projet photographique au cœur de la folie
En 2012, à Marseille, un atelier photo a été ouvert à des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Pendant quatre ans, elles se sont vues confier des appareils photo argentiques. Elles ont alors pu arpenter la ville, capter leur quotidien et appréhender leurs tourments différemment.
Un Autre Journal est né de la rencontre entre le photographe Stephanos Mangriotis, l’infirmière Carole Coquantif et la psychiatre Charlotte Lenoir. Tous trois poussés par l’envie de proposer à leurs patients autre chose qu’un simple atelier occupationnel, ils leur ont offert une expérience créatrice unique. S’inscrivant sur le long terme, ce dispositif leur a permis l’appropriation d’une pratique artistique exigeante et la construction d’une œuvre collective.
C’est ainsi qu’au bout de quatre années de rencontres hebdomadaires, d’échanges et de prises de vues hors des institutions psychiatriques, une exposition a vu le jour. Une sélection de photos a notamment été exposée à l’hôpital de la Timone, à Marseille, avant d’être rassemblée dans un ouvrage intitulé Un autre journal – 4 ans de folie.
Stephanos Mangriotis explique le choix de l’argentique par le désir de s’accommoder d’une temporalité différente. « On ne peut pas voir l’image tout de suite, il faut attendre le prochain atelier pour la voir développée. » Par ailleurs, le nombre de poses limité rend la pellicule précieuse et impose que chaque prise soit réfléchie. Il dit aussi avoir voulu interroger la normalité et témoigner de la complexité de la souffrance psychique.
Wilfrieed Obame, l’un des participants, évoque, quant à lui, la dimension magique de ce type de photographie.
« On tombait sur des surprises. Certaines réalisations étaient encore plus fortes qu’on ne le pensait. Il y a même une de mes photos que je n’ai pas reconnue tout de suite. »
Avant d’ajouter : « La photo prenait de plus en plus mon temps éveillé et je ne gobais plus trop de cachets, mais des pellicules qui sans le savoir remplaçaient mon traitement médical. Je dormais moins pour arracher au temps des images qui m’interpellaient ».
Les patients ayant participé au projet sont unanimes. Chacun témoigne des bienfaits de cette expérience quant à l’évolution de sa pathologie.
Grâce à la photographie, ils ont pu tenir leurs souffrances à distance et s’engager véritablement dans une démarche personnelle et créatrice.
Une démarche salvatrice.
💡L’art-thérapie vous intéresse ? Filez de ce pas lire notre article sur le sujet :
Art-Thérapie : principes et bienfaits
Marie Jacques
Sources :
https://www.cairn.info/l-art-therapie
https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie
https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy
http://dekadrage.org/projets/un-autre-journal/
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