Cadavre exquis : un divertissement créatif à partager
Les délices d’un Cadavre exquis entre amis
Le Cadavre exquis est né dans la première partie du XXe siècle. Pourtant, toujours bien vivant, il représente une jolie façon de s’amuser en groupe, à l’instar des surréalistes qui l’ont inventé. Cette occupation hautement récréative laisse la part belle à l’imaginaire, pour un esprit créatif au top de sa forme. Anatomie d’un divertissement irrésistible à (re) découvrir.
Un Cadavre exquis ? Quésaco ?
Dans son Dictionnaire abrégé du surréalisme, André Breton définit cette activité ludique de cette façon : « jeu de papier plié qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes, sans qu’aucune d’elles puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes ».
Un jeu inventé par d’illustres amis
Le procédé, né vers 1925, est d’abord littéraire. C’est à Paris, au 54 de la rue du Château, chez l’éditeur Marcel Duhamel, que le Cadavre exquis apparut. Cette accueillante maison abritait certains de ses amis artistes, tels que Jacques Prévert et Yves Tanguy. De nombreux écrivains, peintres, et poètes s’y retrouvaient aussi : Benjamin Péret, Pierre Reverdy, André Breton et bien d’autres, en majorité membres du mouvement surréaliste. À cette époque, Duhamel les y rejoignait souvent pour des soirées où la bonne humeur était de mise.
Au cours de ces rencontres, le groupe se divertissait avec ce qu’ils appelaient alors le jeu des « petits papiers ».
Le cadavre exquis boira le vin nouveau
Premier exemple d’une longue série d’assemblages tous plus loufoques les uns que les autres, c’est cette toute première phrase qui donnera son nom à ce procédé, à l’initiative de Jacques Prévert. Ils composèrent ainsi de multiples œuvres communes grâce à ce jeu aux airs d’oxymore (un comble !). Puis, c’est tout naturellement que ces personnages aux talents éclectiques transposèrent leur invention littéraire au dessin. Certaines de ces œuvres sont publiées dans leur revue La Révolution surréaliste.
C’est ainsi que, ce qui n’était au départ qu’une distraction d’illustres inspirés, devint un art à part entière, toujours pratiqué par beaucoup de créatifs.
Comment faire un Cadavre exquis ?
Tu aimes les jeux de mots ? Toi aussi, comme les surréalistes, organise des soirées « petits papiers » avec tes amis, tes enfants, ou même tes parents. Tu es enseignant ? Tes élèves adoreront ton cours d’arts plastiques !
Les règles du jeu
La partie se joue à plusieurs. Deux personnes au moins sont nécessaires, mais plus on est de fous, plus le résultat est original.
Pour faire un cadavre exquis, il te faut :
- un nom qui sera le sujet de la phrase (ex. « la girafe »). C’est celui qui commence le jeu qui l’écrit. Il cache ensuite son mot en repliant le haut de la page ;
- un complément (ex. « à fleurs »), choisi et dissimulé par le second joueur avant de passer à son tour le papier à son voisin ;
- un verbe conjugué (ex. « escalade ») ;
- un autre substantif que le 4e participant note (ex « la souris verte ») ;
- un nouveau complément pour la personne suivante (ex. « au pied d’un arc-en-ciel »).
- …
Exquises esquisses
Pour la version croquée, choisissez chacun une partie anatomique humaine, animale (ou autre ?), et disposez-les dans l’ordre suivant :
- une tête en haut de la feuille, ébauchée par un premier dessinateur qu’il dissimule en laissant apparaître une partie du cou ;
- un buste ;
- des jambes/pattes/queue de poisson, etc.,
- ouvrez, admirez, riez !On fera autant de pliages qu’il y a de contributeurs. Pour diversifier ces réjouissances, tu peux proposer un ou plusieurs thèmes à mixer (par exemple les animaux ou les plantes), ou même commencer en bas de la feuille. Le dessin peut aussi se construire à l’horizontale.
Recettes pour varier les plaisirs
- Salade décomposée de questions — réponses
On commence par écrire une question cachée du type « qu’est-ce que… », puis on y répond en donnant une définition. Qu’est-ce qu’un parapluie ? L’appareil de reproduction chez les gastéropodes. (R. Quenaud et M. Noll.)
- Mélange au conditionnel
La phrase commence par « si » : par exemple (« si les dinosaures… »). Les autres éléments sont ajoutés tour à tour. Dans cette version, les verbes doivent être conjugués au conditionnel (« dansaient — les champignons — mangeraient — des coccinelles »).
- Des syllabes au menu
Cette version vous permettra, à toi et à tes amis d’inventer des créatures chimériques.
Pour cela, définis un thème à l’avance (animaux, machines, bâtiments…). Celui qui commence note la première syllabe d’un mot, le second, la deuxième et ainsi de suite :
Par exemple, Dromadaire, Hippopotame et Grenouille composent un superbe « Dropponouille » !
Au passage, tu peux t’amuser à reproduire ces êtres extravagants au crayon ou au pinceau. Tu te constitueras ainsi un drôle de bestiaire.
- Délicieux endeuillé en BD
Chaque auteur s’inspirera ici de la dernière case dessinée par son prédécesseur. Dans les années 70, de nombreux bédéistes se sont prêtés au jeu dans l’émission Tac au Tac.
- Plaisir solitaire en ligne
Une partie est par définition collective. Tu es cependant libre de cadavériser seul sur le site https://www.rimessolides.com/cadavresexquis.aspx. Voici un exemple avec les rimes d’un poète bien connu. Sauras-tu le reconnaître ?
La paire est bleue comme une orange
Jamais une humeur les slows ne trempent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au gour des tirés de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa brousse d’instance
Tous les pauvrets tous les sourires
Et quels mouvements d’émergence
À la croire toute nue.
Les mouettes fleurissent frère
L’aube se passe entour du doux
Un marché de fenêtres
Des ailes couvrent les cueilles
Tu as toutes les lois sévères
Tout le soleil sur la paire
Sur les pantins de ta beauté.
Pourquoi pratiquer le Cadavre exquis ?
Outre le plaisir de se prendre pour un surréaliste le temps d’une distraction, cette pratique à de nombreux intérêts.
Un loisir accessible à tous et pas cher
Pour s’amuser au jeu du cadavre exquis, nul besoin de matériel coûteux. Une feuille et des crayons suffisent. Tu peux utiliser ce que tu as sous la main : stylos billes, feutres… Tout ce qui permet de tracer ou d’écrire !
Le support peut être le verso d’une feuille de brouillon, une nappe en papier, le dos d’une chute de tapisserie.
Pour réaliser un collage aléatoire, découpe des éléments dans des magazines et distribue-les à tes camarades de jeu.
Cette simplicité de mise en œuvre en fait un passe-temps qui peut se pratiquer n’importe où.
Qui peut participer ? Tout le monde ! Les non-sportifs, allergiques au calcul, ta grand-mère… Tu peux aussi bien proposer un Cadavre exquis pour terminer joyeusement un repas de famille qu’entamer une partie avec tes collègues à la pause café. Bien sûr, il a tout pour plaire aux enfants qui en apprécient le côté comique et inattendu.
Un art à part entière
Tu l’auras compris, ce drôle d’exercice peut déclencher franches rigolades et belles surprises. Pourtant, sous ses airs de régression enfantine, il a notamment permis d’observer la notion de « hasard objectif ». La mise en commun de la pensée produit une certaine cohérence entre la question et la réponse.
Breton confessera que cette pratique « expérimentale » ne fut d’abord qu’un divertissement.
« Ce que nous avons pu y découvrir d’enrichissant sous le rapport de la connaissance n’est venu qu’ensuite »,
écrira-t-il.
➡️ Découvrez aussi comment pratiquer le dessin automatique
Régalons-nous
Depuis sa naissance dans cette rue de Montparnasse, un grand nombre d’artistes se sont pris à ce jeu. Peintres, dessinateurs et même romanciers ont goûté au plaisir de composer ensemble d’invraisemblables créatures hybrides. Parfois poétiques, parfois rocambolesques, les productions ainsi engendrées sont toujours pittoresques.
Exemples graphiques
On peut admirer les premiers dessins au Centre Pompidou
L’exquise nouvelle
Ce roman fut entièrement composé sur Facebook. Il est né en 2011 d’une idée géniale de Maxime Gillio et David Boidin : proposer aux utilisateurs du réseau social d’écrire une nouvelle en partant de « un tueur à l’andouillette ».
Mysterious Object at Noon
Ici en version cinématographique par Apichatpong Weerasethakul, le réalisateur Thaïlandais Palme d’or 2010. Le film, construit sur le même principe de participations successives, raconte les aventures d’un garçon handicapé. Chaque nouvelle scène est inventée par un intervenant différent.
Formes d’ailleurs
Enfin, si la France est le berceau de cet exercice en particulier, d’autres pays le pratiquent, sous des formes variées. Aux États-Unis, les auteurs adoptent le round robin pour composer des œuvres collaboratives. Il consiste à rédiger tour à tour les différents chapitres d’un roman.
Les Japonais, eux, s’adonnent au Shiritori. Il s’agit là de créer un mot avec la dernière syllabe du précédent, comme dans notre célèbre Marabout (Bout d’ficelle – Selle de ch’val, etc.).
À l’heure où nos sociétés nous obligent à toujours plus de règles, de contrôle et de conformité, cette jouissive récréation souffle un vent de liberté dans nos quotidiens monotones. Quoi de plus réjouissant que de s’unir pour donner vie à des êtres fantastiques, mariages magiques d’imaginaires multiples ? L’excitation de la surprise s’ajoute au plaisir du jeu. Tels des enfants trépignant d’impatience au pied du sapin à Noël, les complices attendent, fébriles, la découverte de l’œuvre produite.
Alors, pour garder un esprit vif avec humour et entre amis ou en famille, sors ta trousse à crayons et suis la recette.
Auteure : Gwénolée
Sources : https://www.centrepompidou.fr/
Sommaire